Rolls Royce Sweptail, Gatsby l’aurait adorée
N’y allons pas par quatre chemins : c’est la voiture la plus extraordinaire et la plus prestigieuse du monde. La plus chère aussi. Nous pourrions ajouter « et la plus élégante », mais nous entrons ici dans la subjectivité alors que les trois qualificatifs précédents sont aussi objectifs qu’indiscutables. Sans surprise, c’est à Rolls Royce qu’on la doit. Elle s’appelle Sweptail.
Bien que son acheteur souhaite rester anonyme, on peut sans beaucoup s’avancer supposer qu’il ne le restera pas indéfiniment, sauf à restreindre son utilisation à des propriétés privées, ce qui serait sacrilège. Gageons simplement qu’il s’agit d’un client sans doute assez aisé financièrement.
Quoi qu’il en soit, on ne peut que rester muet devant l’allure exceptionnelle et la magnificence de ce grand coupé fastback élaboré sur la base du coupé Phantom, dont les lignes, en particulier celles de sa poupe et de la partie arrière de l’habitacle, évoquent furieusement l’univers du yachting.
Entre yacht et coupé
Impossible de rester insensible au dessin de sa poupe fuyante, qui intègre des volumes variés comme autant de pleins et de déliés avec une harmonie confondante, convoquant autant le style automobile des années 20 et 30 que celui des runabouts en acajou vernis Riva ou Hacker-Craft. Une irrépressible évocation de luxe, d’élégance et de raffinement.
On découvre le même ADN à l’intérieur de la voiture en lieu et place des sièges arrière, remplacés par des placages de bois précieux vernis et de marqueterie rehaussés de lamelles d’aluminium. Ici encore, l’amateur pense Riva, Baglietto ou autres Benetti…
D’autant que Rolls Royce n’a pas lésiné sur les moyens pour doter sa voiture d’une profusion de détails tous plus soignés les uns que les autres. Par exemple les deux serviettes de cuir fin dissimulées dans l’épaisseur de la carrosserie à l’arrière des portières (à « ouverture suicide », c’est à dire s’ouvrant vers l’avant, comme il était de mise dans les Années folles), là où la maison avait déjà étonné tout le monde en installant des parapluies sur ses modèles Phantom limousine, coupé et cabriolet. Ou encore le service à champagne – une bouteille et deux flutes de cristal griffées Rolls Royce – installé dans le bar réfrigéré caché dans l’accoudoir central arrière. Le tout exhalant un niveau de qualité éclatant au premier regard et des finitions poussées à leur paroxysme. Absolument incroyable, il n’est que d’admirer les différents travaux de marqueterie qui caractérisent la plage arrière pour s’en convaincre : en se gardant de tout excès dans le propos, il convient légitimement de parler ici d’art, à tout le moins de l’artisanat le plus exceptionnel. D’ailleurs Rolls Royce, peu suspect d’user de superlatifs, considère la Sweptail comme « l’équivalent dans l’automobile de la haute couture ».
Pour créer ce modèle d’ores et déjà historique, le bureau de style a bénéficié des directives précises du futur propriétaire en matière de style, qui témoignent de la maîtrise du goût de ce riche esthète. Celui-ci a en effet expressément indiqué vouloir « une voiture inspirée des grands classiques des années 1920 et 1930, comme la Phantom I de 1925 et la Park Ward de 1934, à deux places et dotée d’un large toit de verre ». A partir de ce cahier des charges, le bureau de style a opté pour un dessin ultra minimaliste, inspiré des canots automobiles des Années folles et de l’univers du yachting, dont les stylistes savaient le client également très amateur. Ainsi découvre-t-on une poupe fuyante à la façon des Aquarama et à l’avant les gros phares ronds caractéristiques des Rolls de la période de référence encadrent la célèbre calandre verticale. Malgré la mobilisation des hommes de l’art les plus pointus dans leur domaine, quatre ans auront été nécessaires à la création de cette voiture unique, entre la commande du client et la présentation de l’auto, à l’occasion du dernier concours d’élégance de la Villa d’Este, où les amateurs du monde entier ont bien compris que Rolls Royce avait franchi là une nouvelle étape dans l’exception.
Le prix de l’exception : entre vulgarité et abstrait
A ce niveau d’élégance éthérée et de perfection, il devient presque vulgaire de parler de prix. Le marché spécieux des voitures de collection nous a habitués à des sommes incroyables – d’aucuns diront indécentes. Voitures culte ou modèles ayant appartenu à des célébrités, des modèles historiques comme la Bugatti 57 Atlantic ou les Ferrari P4 et 375 GTO, mais aussi des voitures modernes comme la LaFerrari (modèle unique adjugé 6,63 millions d’euros en décembre dernier), qui renvoient le bolide Bugatti Chiron (tout de même 2,4 millions d’euros) au statut de petit joueur. Les 11,5 millions d’euros (10 millions de livres sterling) de la Sweptail fixent un nouveau record en la matière. Gatsby l’aurait adorée.